Max

Suisse-Autriche-Hongrie-Pologne-pays baltes-Russie-Finlande-Norvège-Cap Nord-Suède-Danemark-Allemagne-Suisse. Première expérience en camping car, trois mois ou plus. Il est libre Max. Max est le nom de notre nouvelle maison sur quatre roues. Les voyageurs mon mari et moi. Nous sommes le 7 avril et faisons la route depuis sept jours.

10h   Lac Balaton, soleil, roseaux, immense surface lisse, ciel bleu après deux jours de pluie, fraîcheur, les saules pleureurs jaunes balancent doucement, trois narcisses, toits de chaume, expresso excellent. Air pas tzigane à la radio. Vas y Max.

13h   Autoroute M7 Budapest 27 km. Bang Bang. Max chavire. Se couche sur talus côté droite, se relève, tourne, étagère volante, bouquin qui passe. Flash de peur. Max s’immobilise côté gauche. Huile d’olive sur la tête. Perplexe. Regard anxieux. T’as mal ? Non. Rien. Toi ? Non plus. Debout sur la porte conducteur. Comment sortir ?

13h05   Trois visages. Sons hongrois. Comprends pas. Trois camionneurs costauds. Ouvrent la porte vers le ciel. Me hissent dehors. Sur les épaules. 20 mètres. Me pose délicatement dans l’herbe. Toi ensuite. Regards. Soulagement. Merci les gars.

13h15   Tatutatu. Ambulance. Oreiller sur la route, un soulier, couvercle de toilette, vélos fracassés, pièces de métal, porte marquée « bain ». Petite bosse à la tête. Bleu au coude. C’est tout. Merci ange gardien.

13h20   Tatutatu. Police. 5 km de bouchon. Maison étalée sur le bitume. Parapluie orange. Confiture de groseille. Chocolat. On est Suisse quoi ! Plein de monde. Perdus dans charabia hongrois. Deutsch ? English ? Ok. Merci la chance.

13h30   Explorer les décombres. Papiers. Passeports. Habits. Trousse toilette. Argent. Lunettes. Appareil photo. Ordinateur. Clic-clac photo. Formalités et rapport police. Deux témoins témoignent. Le conducteur de l’autre voiture reconnaît sa culpabilité. Ça dure une heure.

14h30   Dépanneuse. Le sort de Max est scellé. Direction cimetière.

15h15   Hôpital de Szekesfehervar. Immense. Délabré. Une relique du communisme. Radiographies. Examens. Médecins compétents. Ne décèlent aucune blessure.

20h    Hôtel du Roi Michael. Foie gras hongrois à la gelée de Tokay ? Goulasch ? Va pour le foie gras. Les rescapés fêtent. Les corvées pour plus tard : administration, assurance, police, récupérer nos affaires, acheter des valises, billets de train, trop de trucs pour l’avion. Retour à la maison. Trois mois = sept jours. La vie nous sourit.

 

 

Sepia

Un mince cadre doré

Un passepartout noir

Une photo quinze sur vingt-et-un

Variations de brun.

Par-ci, par-là, un soupçon de vert.

Une large rue non goudronnée

Sans trottoir ni bordure

Longée de verdure

Déserte

Aucun véhicule

Pas même un chat

Au loin une maison à deux étages

Petites fenêtres et toit très bas

Un ciel tout blanc

Lumière blafarde

Bientôt la pluie.

Au premier plan

Cinq enfants

De dos

Par rang de taille

Joyeuse marmaille

Une fille quatre garçons

De cinq à neuf ans

Habits de fête.

Costumes de marin pour les garçons

Blouses et pantalons blancs

Grands cols carrés

Bleus certainement

Trois lisières claires

Les pantalons s’arrêtent aux genoux

Sur des mi-bas et chaussures noires.

A gauche la fille

Robe blanche vaporeuse

Festons de dentelle

Deux belles tresses brunes

Chaussettes blanches

Souliers vernis

Noir sans doute.

Tous coiffés de chapeaux en paille

Clairs comme un rayon de soleil

Diablement pimpants

Un peu trop grands

Large bord et ruban

Empruntés aux oncles aux parents.

Ils se tiennent par les épaules

Démarche au pas cadencé

Le plus petit

Peine à suivre le rythme.

Un air joyeux

Même de dos

J’entends leurs rires

Et leur chanson

Il pleut il pleut bergère

Dadidada dadère.

La hâte de rentrer à la maison

Tout en appréciant le moment

Le goûter attend

Un sirop et une tranche de gâteau

Une tartine à la confiture aux mûres

Un chocolat bien chaud

L'image respire la joie de vivre

L’insouciance de l’enfance

L’espièglerie et l’amitié

Légèreté dans un paysage austère

Bonheur d’un instant éphémère

La nostalgie aiguë

D’un temps perdu

Un dimanche d'automne

A jamais disparu.

 

Je l’ai trouvée chez ma grand-mère

Dans un tiroir cachée au fond

Au dos pas de légende

Elle ne pouvait plus m’expliquer

Mystérieux et joyeux

Petit Club des Cinq.

Cependant

Je leurs ai donné des noms

Elise ma grand-mère

Tant pis si ce n’est pas elle

Ambroise mon grand-père

Doux et discret

Prénom délicieusement suranné.

Victor, le plus grand

Affiche un air pas peu fier

Guillaume plutôt incrédule

Et le petit Jules

Déjà téméraire.

 

Cinq mômes Sépia

Cinq vies vécues

Cinq vies inconnues

Cinq vies disparues

Sépia depuis longtemps déjà

Ephémère et éternelle

 

La première nuit s’avère un peu pénible. Le vent souffle fort, les chiens aboient la moitié de la nuit et le matelas est très dur. Au moins les chaussettes et la doudoune assurent un peu de chaleur, un certain confort

La porte de la yourte s’ouvre à cinq heures. Dans ce pays on ne frappe jamais avant d’entrer. La fille vient faire du feu dans le poêle qui dresse sa cheminée au milieu de l’habitat nomade, cerclé de lattes et surmonté de perches décorées. Lisa s’extrait de dessous ses couvertures, glisse ses pieds dans une paire de chaussons en feutre, fait un sourire à la fille, sort et s’accroupie à côté de la porte. Sous la lumière douce de la matinée, la steppe ressemble à une toile que le peintre aurait giclée d’or. Le cheptel de 500 moutons et 400 chèvres forme une forêt basse ondulée tout autour de la yourte. Le troupeau est rentré tout seul hier soir comme tous les soirs. Ils connaissent le chemin. Lisa ne les a même pas entendus. Quelques bêlements se noient dans le silence. Au loin passe un cavalier au galop. Il a fière allure dans son deel et avec son urga. Il la fait penser à Gengis Khan.

La fille ressort en se baissant, un grand sourire sur son visage rond aux pommettes rouges. Avec un signe de la tête elle invite Lisa à renter. Le feu à pris et dans quelques minutes une chaleur bienfaisante envahira la vourte. Mais Lisa veut rester dehors, s’imprégner de l’immensité du paysage vierge, éternelle,  sans passé ni futur.

Elle est arrivée hier et va rester quinze jours avec la famille nomade. Ou trois semaines. Ou un mois. Le temps qu’il faut. Apprendre à faire le thé au lait salé, le yoghourt, le fromage et l’airag du lait de jument. Ramasser les bouses de vaches à l'aide d'une fourche bricolée. Les disperser en tas pour les sécher. Elles serviront de combustible. Apprendre à prendre le temps.

Elle cherchera l’eau pour se laver dans le ruisseau.

Elle va monter à cheval, sans selle comme l’homme qu’elle a vu passer tout à l’heure.  Sentir la bête.

Mais par dessus tout, elle a envie de sérénité, de solitude, de simplicité. Se sentir vivante au milieu de milliers d’étoiles sous la coupole céleste. Saluer le soleil et la lune. Rêver au fil des nuages blancs qui dessinent des énigmes dans le ciel bleu pâle. Entendre la musique du silence. Humer l’odeur du vent. Sentir le sable, les cailloux et l’herbe dru sous ses pieds nus. Marcher des heures sans but. S’allonger sur un tapis de fleurs mauves ou jaunes. Surprendre un edelweiss blotti contre un tronc d’arbre rugueux.  Danser avec les papillons et répondre au coucou. Ce remplir de vide. Toucher à l’éternité. Retrouver un sens à la vie. Se retrouver. Reconstruire ce qui a été détruit en elle.

Lisa vient de sortir d’un divorce douloureux.

Partir ou rester?

La Baie des Cochons   Avril 1961 - Le débarquement à la Baie des Cochons, invasion militaire de Cuba par des exilés cubains soutenus par les Etats-Unis. Environ 1’400 exilés cubains recrutés et entraînés aux États-Unis par la CIA  débarquaient dans le but de renverser le gouvernement de Fidel Castro. L'opération fut un échec complet.

 Playa Larga   Mars 2016 - Le village tranquille s’étire le long de la large plage de sable située sur la Baie des Cochons. La plage est très populaire et agréable. La flore et la faune de la région sont d'une grande richesse.

 Notre rêve   Après un mois dans un appartement exigu à la Havane nous n’avons qu’une envie: Une chambre avec vue au bord de la mer.

La révolution   Des petites maisons plus ou moins entretenues. Beaucoup ont le signe de la « casa particular » sorte de chambre d’hôte. Les chambres côté mer sont toutes prises. De l’autre côté de la route en terre battue il y a une deuxième rangée de petites maisons simples, entrecoupées de temps en temps par un terrain vague ou un semblant de chantier. L’éternel signe du genre « Révolution  - liberté, égalité, sécurité» ne manque pas. Cela fait cinquante six ans. Ne pourrait-on pas rayer le R de révolution ?

Casa Bertica   Quatre vieilles chaises à bascule sur la petite place d’entrée qui n’est pas vraiment une terrasse. La porte de la maison est grande ouverte. Deux jeunes Allemands boivent une bière, discutent et rient. Y a-t-il encore de la place? – Oui! La casa compte deux chambres d’hôte.

Déception   La petite chambre est sombre. Un lit, un néon au plafond, une étagère, un ventilateur, devant la seule fenêtre un rideau en polyester bleu azur. Le même bleu azur recouvre le grand lit. Cela ne remplace pas le bleu de la mer des Caraïbes. Il est déjà tard et nous décidons de rester, un peu à contrecœur:   “mais pour une nuit seulement”.

Bertica   La peau basanée  le visage rond, les yeux rieurs, un T-shirt jaune citron qui moule sa poitrine impressionnante, des leggings tendus sur les cuisses bien bondées, Bertica ouvre les bras et nous embrasse. Elle respire la bonté, la générosité et la joie de vivre. La trentenaire, une boule d’énergie, est laborantine.

Noël   Grand et plutôt mince, la mine béate, il écoute tranquillement bavarder sa Bertica et place un mot de temps en temps, en espagnol évidemment. « Je vais prendre des cours d’anglais . » Noël est ingénieur agronome.

Le dîner   Le soir Bertica et Noël se muent en employés d’hôtel : jupe et pantalon noir, blouse et chemise blanche, petit gilet noir. Cela donne une certaine classe au service !D’abord une soupe, puis des bananes rôties. En plat principal une langouste avec riz et légumes. (Un de leurs amis est pêcheur. Aha !) Excellent le tout. On se régale.

On se sent bien   La pièce sert d’entrée, salon et salle à manger. La porte qui mène sur la rue est fermée à cause des moustiques. Le ventilateur vrombit. Au milieu une grande table, comme à la maison. Avec le jeune couple qui occupe l’autre chambre nous sommes quatre et avec les propriétaires on mélange l’allemand à l’espagnol et au français. Causeries, discussions et rires. On se sent bien.

La vie difficile   Chaque Cubain vous le dira. Le salaire moyen est de 40 à 50 Euro par mois, ce qui est absolument insuffisant. Beaucoup de Cubains ont deux ou trois jobs. Bertica et Noël ont décidé d’abandonner leur profession et de se consacrer au tourisme. Ils ont le charisme et le charme tout adéquat. Il y a deux ans ils ont commencé avec une chambre, un drap, une couverture, deux assiettes, deux tasses et deux verres. La chambre coûte 20 Euros la nuit et ils payent 20 % d’impôt. Ils économisent chaque peso et aujourd’hui ils ont plein de projets : peindre la façade, construire devant leur maison une vraie terrasse avec une pergola. Ajouter des salles d’eau privatives. Agrandir la cuisine. Cela prendra quelques années.

La soirée   Noël a aligné une dizaine de bouteilles. Il n’y a pas que du rhum ! Il suit un cours de barman et s’entraine avec ses hôtes à la maison. Un Mojito ou une Piñacolada ? Un Marguerita ou un Daiquiri ? Va pour le Mojito. On sort tous sur la pseudo-terrasse. Il n’y a plus de moustiques. L’air est frais et agréable. On se laisse aller aux rêveries. Les chaises à bascule nous font tanguer. Un groupe de cinq musiciens passe, celui avec la guitare joue trois mesures, nous lance un  « vienes bailar » avec un rire sonore.

Guantanamera   Les musiciens s’installent devant une casa voisine. Le propriétaire les a invités à jouer et bientôt les rythmes allant de la salsa à la rumba inondent la nuit.Un guïra, sorte de râcloir en forme de cône, les maracas, les claves, les congas, une ou deux guitares. Avec Bertica et Noël nous les rejoignons, dansons dans la rue éclairée par la pleine lune et une petite loupiote. Noël me montre quelques pas de salsa. Je lui marche sur le pied. Rire. Guantanamera ne manque jamais dans le programme des musiciens de rue.

Le petit déjeuner   Le lendemain matin : « puisque vous rêvez d’être au bord de la mer » Bertica nous sert le petit déjeuner sur la plage en traversant le jardin des voisins. Elle amène une table, une nappe, deux  chaises, un mini vase avec une fleur et un parasol. La mer caresse paresseusement le sable blond.  Un chien passe par là et nous regarde. Un oiseau chante. Le café est délicieux et accompagné de pain, fruits frais, omelette et pancakes. Nos cœurs battent au rythme des vaguelettes. Nous sommes aux anges.

Partir ou rester ?   Nous restons quatre jours. La gentillesse et l’accueil chaleureux de ce couple compensent largement le fait de ne pas avoir une vue imprenable sur la mer.

Faites tomber tous les murs du monde

Arabie saoudite   Botswana  Chine   Corée du Nord   Egypte   Espagne  Etats-Unis   Grèce  Inde   Iran  Irak   Israël   Koweit ...

La liste est loin d'être complète et ne sert que d'exemple. Exemple de tourisme? De culture? De géopolitique? Non - tous ces pays ont construit un mur pour se protéger de l'intrusion de leurs voisins.

Les raisons?

Anti-terrorisme

Anti-migration

Anti-trafic de drogue

Contrôle de circulation

Pourquoi personne ne parle d'anti-humain?

Employée tout au long de l'histoire, la pratique des murs de séparation s'est multipliée au début du XXI° siècle. Juste après la chute du Mur de Berlin. LE MUR! Mur de la honte, vue de l'Ouest. Mur de protection antifasciste, vue de l'Est. Contrairement aux murs qui s'érigent maintenant, celui-ci tentait de retenir la population à l'intérieur, de mettre fin à l'exode de l'Allemagne de l'Est vers l'Ouest.

Pendant 27 ans un peuple était divisé par 150 kilomètres de béton doté de miradors, de barbelés, de lumières aveuglantes, ceinturé de no man’s land. Une ville coupée en deux, des maisons appartenant pour une moitié à l'Est pour l'autre à l'Ouest, des familles séparées, des tragédies écrites au nom d'un système.

Le Mur de Berlin, symbole du clivage idéologique et politique de la guerre froide.

Check Point Charly, Brandenburger Tor, Bernauer Strasse, la gare Friedrichsstrasse (le palais des larmes) Unter den Linden - des places mythiques.

Combien de personnes ont essayé de traverser ce mur? Par le haut, par le bas, par toutes les ruses. C'était de la haute voltige. Et on ignore toujours le nombre de victimes qui ont payé par la vie leur soif de liberté, leur désespoir, leur courage.

9 novembre 1989

Dans l'après-midi le porte-parole du gouvernement de la RDA annonce dans une conférence de presse:

"Des voyages à l'étranger peuvent dorénavant être sollicités sans conditions, sans motif, sans relations familiales particulières. L'autorisation sera octroyée à court terme, Entrée en vigueur immédiate."

Il s'agissait en fait d'une proposition à traiter par le parlement et pas encore d'une ordonnance, d'un décret du gouvernement. Cette "erreur d'interprétation" a donné le coup d'envoi pour des dizaines de milliers d'Allemands de l'Est à se précipiter aux postes frontières. L'expression allemande pour 'coup d'envoi' est ‘de Stein ins Rollen bringen’, faire rouler la pierre. Elle n'a pas tardé à rouler, cette pierre. La nuit a vu la Chute du Mur de Berlin.

Des milliers de personnes s'accumulent aux passages à l'Est

Les garde-frontières ne sont au courant de rien

N'ont pas reçu d'ordre

Ne contrôlent plus la situation

Pris de court, impuissants, submergés

Ne résistent pas à la pression

N'utilisent pas leurs armes

Dieu seul sait pourquoi

Ils ouvrent des brèches

Laissent passer les foules

Et passent avec

Un flot interminable de jeunes, de vieux, d'enfants

Perplexité, surprise, espoir, étonnement, bonheur, chaos, euphorie, folie

L'Ouest est synonyme de pays de cocagne.

19h05 "La RFA ouvre les frontières" avec cette phrase toutes les radios et tv Ouest allemandes interrompent leurs émissions.

Les Berlinois de l'Ouest se lancent en direction du Mur

Tout Berlin court

Les foules attendent

Dans la joie, dans la peur

Innombrables, agglutinés, incrédules ou convaincus

Attaquent le Mur à coup de marteau

Jusqu'au matin une marée humaine déferle

Toujours dans la même direction.

Elle est accueillie les bras ouverts

Larmes, rires, cris, effondrements, embrassades, émotions

Expectatives, espérances, liberté, libération

On danse sur le mur, au Pariser Platz, sous la Port de Brandebourg

Toute la nuit la Kurfürstendamm est une seule fête.

 

Au nom de la liberté, faites tomber tous les murs du monde, faits de pierres, de barbelés, d’incompréhension et d’indifférence.

Remplacez les par l'amitié et l'amour.

La balançoire

Déjà au temps très très lointain quand notre planète s’appelait encore Emeraude, les enfants aimaient jouer et s’amuser. A cette époque il n’y avait pas de jouets mais d’énormes balançoires dans les arbres, qui étaient verts émeraude et beaucoup plus hauts que ceux que vous connaissez aujourd’hui. Ces escarpolettes étaient le passe-temps favori de tous les enfants.

Lunesco, un petit garçon espiègle, était de loin le meilleur, le plus hardi aussi. Il allait haut et toujours plus haut. Il aurait aimé voler. Alors un jour qu’il était à nouveau bien plus haut que ses camarades, il se projeta dans l’air et fut attrapé par le vent qui le fit pirouetter, monter et virevolter avant de le déposer comme une plume sur un nuage. Ah, ce que c’était magnifique. Il regarda la planète Emeraude, ses camarades pointèrent vers lui, ils rirent et crièrent. Toute la journée Lunesco s’émerveilla à contempler les forêts, les rivières, les montagnes, la mer, les falaises et les petits villages aussi. Il n’y avait pas encore de villes, ni de routes, ni de voitures.

Mais le soir venu, Lunesco ressentit une grande fringale et quand le soleil tomba dans la mer, il frissonna. Il décida de retourner en bas pour retrouver ses parents, son lit et un bon petit repas. « Ramène-moi chez moi » demanda-t-il au vent.

Sa maman lui fit un doux baiser. « Tu es trop téméraire, mon Luno, soupira-t-elle, un chenapan, un vrai petit aventurier. Ne me fais plus jamais ça, petit loup, j’ai eu tellement peur pour toi » et elle lui prépara une belle omelette.

Tout en avalant son plat préféré, le garçon, les yeux brillants, lui raconta toutes les choses merveilleuses qu’il avait vues depuis son nuage. Puis il s’endormit toujours avec cet immense sourire sur sa frimousse. De quoi pouvait-il bien rêver?

Le lendemain Lunesco grimpa sur sa balançoire. « Juste un petit peu, maman » chuchota-t-il, même que sa maman ne le vit pas, elle était partie dans la forêt pour ramasser des baies. Il se berça doucement, puis donna un petit coup et un autre plus vigoureux pour aller plus fort à toute volée. Il se sentit léger, tellement léger qu’il voulut essayer de voler encore une fois. Juste une fois !

La balançoire faisait son aller-retour, devint plus lente, brimbalait, swinguait doucement et finalement s’immobilisait. Plus de Lunesco.

Ses camarades le virent monter dans le ciel. Devenant toujours plus petit il ne s’arrêta pas sur le nuage mais continua plus loin. Il ne fut plus qu’un petit point puis disparut.

Sa maman était revenue de la forêt et personne n’osait lui dire que son petit garçon avait disparu. Mais le soir, quand tout le monde regardait la lune qui montait dans le ciel, cette lune qui avait toujours été lisse et brillante, ils y reconnurent le visage de Lunesco. Ils le voyaient rire, donc il devait être heureux.

Une année plus tard, par étoile filante interposée, Ludo invita sa maman sur la lune. Après de longues hésitations seulement, elle se décida d’utiliser la balançoire pour son départ. La maman est restée loin d’Emeraude pendant une année entière et quand un jour elle est revenue, elle était plus belle qu’avant. Ses yeux brillaient, son regard était lumineux et sa démarche gracieuse. Elle avait quelque chose de surnaturel, quelque chose d’ailleurs…. Les gens l’appelaient alors « Soleil ». Elle ne parlait à personne de son séjour lunaire mais pour le reste de sa vie ce grand sourire qu’ont seulement les gens heureux n’a jamais quitté son visage.

Vous avez certainement déjà aperçu Lunesco un soir de plaine lune. Et si plus tard les hommes sont allés sur la lune sous prétexte d’explorer cette petite planète, dites-vous bien qu’en réalité ils cherchent tous ce petit garçon téméraire. Or, le coquin se cache et il s’est probablement construit une magnifique balançoire depuis bien longtemps.

A l'ouest de la vie, à l'est de l'éternité.

 

Victor est parti. L’infirmière m’a apporté mes médicaments et je me suis couchée un moment. J’avais besoin de repos. Mon 90° anniversaire n’a pas été la grande fête que j’avais imaginée mais ce n’est pas grave. Je n’étais vraiment pas en forme pour voir du monde. Seul Victor est venu me tenir compagnie et a mange avec moi. Cela m’a fait grand plaisir même si je n’ai rien pu avaler. Je sais que je suis parfois méchante avec lui et qu’il ne le mérite pas. C’est mon tempérament et bien qu’il ait passé 60 ans, on n’y change plus rien.

Maintenant je suis debout à la fenêtre et me sens bien, toute légère. Une douce chaleur m’enveloppe, cela fait du bien à mon dos et à mes jambes. Les douleurs se sont volatilisées. La morphine ? Qu’importe, je revis.

Dans le champ ensoleillé qui jouxte la maison il y a les vaches, j’adore le son de leurs cloches qui a bercé mon enfance.

Tiens – je frotte mes yeux pour y voir clair - on a mis dans ce champ la piscine de ma maison à Téhéran. Ah, ça, c’est une belle surprise d’anniversaire.

Tous mes vieux amis sont rassemblés. Même ceux que je croyais déjà morts. Ils ont apporté d’énormes bouquets de fleurs. Il y a des roses blanches que j’adore et les tournesols que Johnny aime tellement. Quel tableau magnifique !

Là sous le cerisier, je vois la Mercedes grise de Madame Kaiser. Elle n’est pas décédée ? Non, elle en descend à l’instant, impeccable dans son nouveau tailleur Chanel. Véra est avec elle, très élégante, elle aussi. Un modèle de Léonard, je parie ! Elles seraient venues exprès de Berne ? En voiture ? Une folie. Elles auraient dû prendre l’avion. Mais pourquoi ont-elles amené Mademoiselle Wagner, l’institutrice de l’école primaire dans sa robe gris-souris. Je n’ai vraiment pas besoin de cette chipie.

Ah, je ne crois pas mes yeux. Même le Shah Reza Pahlavi s’est déplacé avec la belle Farah Diba pour me souhaiter bon anniversaire. En habit d’apparat blanc et or, quel honneur ! Ils sont accompagnés de quatre serviteurs qui portent une caisse de champagne et des corbeilles de dattes et fruits exotiques. Ils sont entourés d’une impressionnante brochette d’ambassadeurs, tous en uniforme comme dans les années soixante. Je crois rêver.

Ha, derrière il y a Rashid le jardinier en tablier vert et chapeau de pailles. Ses bras sont chargés d’énormes branches de Bougainvilliers roses. Pourtant il sait parfaitement que je préfère les blanches…

Et puis Mohamed le cuisinier en veste blanche qui sied si bien à sa peau basanée. Il aurait pu mettre une nouvelle toque, elle a une grosse tache jaune à droite qui doit dater du curry de midi. Si je ne m’occupe pas de tout …

A gauche sous le palmier il y a un petit groupe de musiciens qui commencent à jouer « Happy birthday » et tout le monde chante en agitant des petits drapeaux suisses.

Je suis émue, éblouie, émerveillée. J’ai envie de pleurer de joie. Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi heureuse. Je dois absolument raconter tout cela à Victor demain. D’ailleurs, pourquoi n’est-il pas là. ? Et son frère d’Amérique manque aussi. Toujours en vadrouille, ces gamins.

Chut ! Chut !

Quelqu’un m’appelle…

Johnny ? C’est toi, Johnny ?

Ça fait si longtemps.

Oh mon amour,

Attends-moi, je viens.

 

 

 

 

 

 

 

Pomme ou pas Pomme

- T’es pomme! dit la pomme à la poire.

-  Mais non, ma très chère, je suis poire.

-  Peut-être bien, mais t’es pomme quand même. Regarde-toi. Toute ronde, tu n’as pas du tout une forme d’amphore comme il se doit pour quelqu’un de ton peuple. Et puis ta peau est fine comme la mienne, tes joues sont rouges. T’es sûre que nous ne sommes pas sœurs?

La poire fait l’indifférente, faut montrer à cette bécasse de pomme, une Jean-Jacques Goldman si je ne me trompe, que je suis au-dessus de ces insinuations improbables.

Un petit garçon qui ressemble à Mickey gambade à travers la pièce, celui-là même qui a cueilli les fruits ce matin. Il s’arrête sur une pirouette, penche la tête. Du coin de l’œil et avec un brin de méfiance il regarde la corbeille de fruits, tend l’oreille. Il a entendu parler…. Bizarre ! Il s’approche de la table à pas de loup.

-  Pfft, pfft, pfft, fait la poire, fous le camp, gamin. Tu me gênes ! Il n’y a rien à voir et surtout rien à manger. Je dois vivre encore. Selon la pomme je dois faire pousser mon cou pour me ressembler et pour lui prouver de quelle famille je me réclame. Le  Printemps manganèse est un illustre clan poirier et cela depuis 41 ans déjà. Mais cela, elle ne le sait pas, la pomme, elle est bien trop pomme.

Le gamin fait de gros yeux ronds. Qui parle ? Y aurait-il un ver dans ce fruit ? Parce qu’un fruit ne peut pas parler. Il n’aime pas les vers et préfère s’éloigner.

Le chat tigré roulé en boule sur le fauteuil Louis Toujours lève lascivement la tête. Son oreille fine a capté la conversation. Il s’étire, saute sur la table d’un bond feutré et renifle la poire.

- Oh non, soupire celle-ci, tu vas me faire tomber dans les pommes, tu pues. D’abord ce chenapan de gamin et maintenant le fauve ! Quelle maison. Pourquoi on ne m’a pas laissée sur mon pommier, j’y étais si bien.

- Tu vois ! Tu vois ! claironne la pomme sur un ton victorieux, tu t’ennuies de ton pommier. Je ne suis pas paumée, j’en déduis que t’es bien une pomme.

- Pfft, pfft, pfft, la poire fait une moue. Pauv’ pommelée ! Vas te faire cuire la tige ou mieux, vas te faire grignoter la frimousse. Ha ! voici Mickey qui rapplique.

A bout de bras le garçon prend la corbeille tout en regardant avec suspicion ses occupants, pommes ou pas pommes.

- J’arrive, maman, pour la salade de fruits.

Et pfft ! La poire tombe dans les pommes !