Gisela Raeber

Ephémère et éternelle

 

La première nuit s’avère un peu pénible. Le vent souffle fort, les chiens aboient la moitié de la nuit et le matelas est très dur. Au moins les chaussettes et la doudoune assurent un peu de chaleur, un certain confort

La porte de la yourte s’ouvre à cinq heures. Dans ce pays on ne frappe jamais avant d’entrer. La fille vient faire du feu dans le poêle qui dresse sa cheminée au milieu de l’habitat nomade, cerclé de lattes et surmonté de perches décorées. Lisa s’extrait de dessous ses couvertures, glisse ses pieds dans une paire de chaussons en feutre, fait un sourire à la fille, sort et s’accroupie à côté de la porte. Sous la lumière douce de la matinée, la steppe ressemble à une toile que le peintre aurait giclée d’or. Le cheptel de 500 moutons et 400 chèvres forme une forêt basse ondulée tout autour de la yourte. Le troupeau est rentré tout seul hier soir comme tous les soirs. Ils connaissent le chemin. Lisa ne les a même pas entendus. Quelques bêlements se noient dans le silence. Au loin passe un cavalier au galop. Il a fière allure dans son deel et avec son urga. Il la fait penser à Gengis Khan.

La fille ressort en se baissant, un grand sourire sur son visage rond aux pommettes rouges. Avec un signe de la tête elle invite Lisa à renter. Le feu à pris et dans quelques minutes une chaleur bienfaisante envahira la vourte. Mais Lisa veut rester dehors, s’imprégner de l’immensité du paysage vierge, éternelle,  sans passé ni futur.

Elle est arrivée hier et va rester quinze jours avec la famille nomade. Ou trois semaines. Ou un mois. Le temps qu’il faut. Apprendre à faire le thé au lait salé, le yoghourt, le fromage et l’airag du lait de jument. Ramasser les bouses de vaches à l'aide d'une fourche bricolée. Les disperser en tas pour les sécher. Elles serviront de combustible. Apprendre à prendre le temps.

Elle cherchera l’eau pour se laver dans le ruisseau.

Elle va monter à cheval, sans selle comme l’homme qu’elle a vu passer tout à l’heure.  Sentir la bête.

Mais par dessus tout, elle a envie de sérénité, de solitude, de simplicité. Se sentir vivante au milieu de milliers d’étoiles sous la coupole céleste. Saluer le soleil et la lune. Rêver au fil des nuages blancs qui dessinent des énigmes dans le ciel bleu pâle. Entendre la musique du silence. Humer l’odeur du vent. Sentir le sable, les cailloux et l’herbe dru sous ses pieds nus. Marcher des heures sans but. S’allonger sur un tapis de fleurs mauves ou jaunes. Surprendre un edelweiss blotti contre un tronc d’arbre rugueux.  Danser avec les papillons et répondre au coucou. Ce remplir de vide. Toucher à l’éternité. Retrouver un sens à la vie. Se retrouver. Reconstruire ce qui a été détruit en elle.

Lisa vient de sortir d’un divorce douloureux.

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