Gisela Raeber

Journée d'une confinée

Le café du jeudi de l’initiative Quartier solidaire est hautement apprécié chez les séniors de notre commune quand soudain, le confinement érige ses barrières. Le café se prend dorénavant au bout du fil. On se remonte le moral, offre de l’aide ou bavarde juste un moment. Marlène vit seule dans sa maison. Je l’ai rencontrée plusieurs fois, elle est Allemande comme moi et a plus de nonante ans. Mon appel lui fait plaisir.

- Je vais relativement bien. Merci !

- As-tu besoin de quelque chose ? Veux-tu que nous t’envoyions quelqu’un pour faire les commissions ?

- C’est gentil de t’inquiéter pour moi. Mais je n’ai pas besoin d’aide. Un jeune amène mes repas, le CMS passe chaque jour. Je jardine un peu et lis beaucoup. Mes deux filles m’appellent souvent depuis Genève. Tu sais que je suis née en 1930, j’ai vécu la Deuxième Guerre mondiale, l’exode de l’est vers l’ouest: plus rien ne me fait peur.

Je le sais effectivement. Elle me parle souvent de cette époque.

- Oui, tu as eu une vie mouvementée. Mais la situation est très différente aujourd’hui.

- Passons ! Par contre, j’adore causer. Et toi ? Que fais-tu ?

Comme Marlène, mon mari et moi vivons dans une maison avec jardin et jouissons d’une excellente santé. Quand nous ne voyageons pas, nous passons beaucoup de temps à la maison. À la retraite, nous ne vivons pas avec la peur au ventre de perdre notre emploi. Le confinement ne ressemble pas à une punition. Nous nous sentons plutôt privilégiés, surtout en pensant aux personnes enfermées dans des appartements exigus ...

Ma matinée débute au yoga, entamer la journée en sérénité. À 9h, nous prenons le petit déjeuner à deux, suivi de la lecture du journal. Ensuite, je fais quelques coups de téléphone. Aujourd’hui, j’ai justement choisi Marlène.

Après je sème des fleurs comestibles pendant que mon mari est à l’ordinateur. Rentré début mars d’un mandat bénévole au Burundi, il peaufine le projet, rédige des listes de matériel et des conseils pour le projet d’apprentissage de cuisinier.

Notre fille et notre petite-fille nous font les commissions deux fois par semaine. Elles arrivent justement en fin de matinée. Pour les recevoir, nous avons placé deux chaises longues sous le bouleau, à trois mètres de la terrasse. Ainsi nous pouvons échanger les dernières nouvelles et bavarder un peu. On n’ose pas s’embrasser et cela me manque.

Midi approche : une voisine m’a récemment apporté de l’ail des ours. J’épluche le web à la recherche de recettes. Cela donne une excellente soupe, un délicieux beurre, un pesto relevé.  Va pour les tagliatelles au pesto suisse, aujourd’hui. Ensuite un petit café sur la terrasse : il fait 23° un 10 avril !

Le bon à tirer de mon dernier roman est arrivé par email. 170 pages à réviser. La publication avance au ralenti. Mais ce n’est pas le temps qui manque.

Puis vient l’heure créative. Hier, j’ai cousu des masques. Aujourd’hui je préfère le modelage d’argile. Le 16 mars, premier jour du confinement, j’ai créé une première tête illustrant l’actualité: monsieur Atchoum ! J’en publie une chaque jour sur Facebook: en manque d’une coupe de cheveux, la nature qui se fiche du virus, le ras-le-bol du confinement, la fatigue, mais aussi la méditation, le télétravail et la fête d’anniversaire par Zoom. J’ai mes fans sur le réseau ! Un ami m’a même avoué:

- J’attends chaque matin ta Coronella du jour. Elle me fait rire. Cela fait du bien!

En attendant, mon mari prépare le dîner. Filet d’agneau, sauce à la menthe, riz, salade. Et un bon vin rouge. On mange sur la terrasse. Le quartier est silencieux.

Nous ne manquons jamais le téléjournal « pandémie ». Plus tard le merci au personnel soignant : applaudissements, cloches et bravos retentissent. Le seul rendez-vous quotidien avec nos voisins !

Non, ce n’est pas tout à fait vrai. Depuis quinze jours, nous avons ajouté à ces applaudissements furtifs à la tombée de nuit deux rencontres hebdomadaires plus conséquentes. Chacun amène sa chaise, sa bouteille d’eau ou le café. Nous nous plaçons en cercle sur le parking entre les maisons. Les cinq couples à la retraite observent une distance sociale de presque trois mètres. Nous soignons même notre look: il n’y a pas d’autres occasions ! Crème solaire, chapeau ou parasol sont de rigueur ! D’abord, nous ne parlons que du Coronavirus. Puis les discussions divergent sur toute sorte de sujet. Depuis quarante ans que nous habitons ici, nous n’avons jamais autant parlé ensemble.

- Je vois, dit Marlène et je remarque qu’elle sourit au téléphone, le confinement a aussi ses bons côtés.

- Oui, malgré la distance il y a un rapprochement et beaucoup de solidarité.

- Quelle chance d’avoir ton mari, dit Marlène, à deux le confinement est plus marrant !  Une optimiste, Marlène.

Nous raccrochons dans une pensée aux moins chanceux : les malades, les anxieux, les démunis et tous ceux qui souffrent. La journée se termine parfois sur Skype avec notre fils et nos petits-enfants aux USA, confinés eux aussi.

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