Gisela Raeber

Pas besoin de vous expliquer qui a mes faveurs

Nous avons aménagé dans la maison avant-hier. Elle est presque finie. C’est l’hiver et le reste des travaux, surtout extérieurs, attendront le printemps. Le terrassement autour de la maison a été fait, très vite fait à la dernière minute. Je descends la marche qui mène dans le jardin encore utopique, bordé de sapins. Au fond il y a une petite maisonnette en bois, le sauna, ridicule ! J’espère que papa fera planter des cyprès. On se sentira un peu plus chez nous. Mais y survivront-ils ? J’ai des doutes. Moi non plus, je ne vais pas survivre.

Mes pieds chaussés de grosses bottes brunes rembourrées s’enfoncent dans la neige qui a recouvert la gadoue gelée d’une épaisse couche de crème fouettée.

Elle est belle, cette nappe blanche mais fidèle à mon principe je n’aime pas la neige. Je n’aime pas le froid et encore moins ce pays. Je me demande d’ailleurs ce que nous y faisons ? Papa n’aurait jamais dû accepter ce job. Cela le fait monter d’un cran dans l’hiérarchie de l’entreprise. Foutaise !

La nostalgie de l’Italien me prend à la gorge, me serre la poitrine. J’enfonce mes poings dans les poches de ma veste matelassée. J’ai envie de pleurer mais mes larmes risqueraient de geler. Il fait –15 °C. Ma Toscane me manque. Je me sens déraciné, enchaîné dans une belle maison, enfin qui sera peut-être belle un jour. Mais j’ai décidé que je ne m’y sentirai jamais chez moi. Maman, pourquoi ne t’es-tu pas opposée à cette idée de venir habiter dans un tel pays barbare? Une chance inattendue pour toute notre famille, disais-tu avec un sourire malicieux ou était-il triste ? Connaître un autre pays, apprendre une autre langue, s’ouvrir au monde. Moi, avec mes douze ans, je n’en ai rien à faire. Mes anciens copains me suffisaient amplement. Je n’ai vraiment pas besoin de m’en trouver d’autres. Je ne suis pas un gitan.

Nous étions très bien dans notre petit village. La vie était belle et douce et on ne manquait de rien. Il n’y avait donc pas urgence. Vous auriez pu attendre que je sois grand et puisse décider pour moi-même. C’est-à-dire rester ! Ou alors vous auriez pu choisir un pays plus commode, le Brésil ou le Mexique, par exemple – oui ! Un pays où il fait chaud. Où le soleil ne se couche pas à quinze heures trente déjà. La Norvège, brrrh ! Le froid vous glace le sang, vous givre l’âme, vous crispe les pensées, il tambourine sur vos os, il vous fige de haut en bas. Le ciel affiche un bleu d’acier menteur, l’air vous paralyse.

Assez, je sens que mon nez est déjà rouge. Je rentre boire un chocolat chaud et ce soir je regarderai le match Italie – Norvège. Pas besoin de vous expliquer qui à mes faveurs.

 

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