Gisela Raeber

La distance est un concept variable, la proximité est une histoire de coeur.

En 1990, après la fin de ses études il est parti pour une année. Voyage autour du monde. Je lui ai mis une lettre dans son sac à dos, à ouvrir lors de son arrivée à la première destination : Bangkok.

Mon cher fils,

Vingt-trois ans. Tu as brillement terminé tes études et tu veux explorer le monde. Je t’approuve pleinement. T’imprégner d’autres cultures, coutumes, langues, paysages. Découvrir des pays lointains, leurs hommes et leurs femmes, leurs modes de vie, philosophies, pensées peut-être. Cela t’ouvrira l’horizon et l’esprit. Une aventure qui posera une base mondiale pour avancer dans ta vie.

Ce n’est pas la première fois que tu quittes la maison mais jamais pour aussi longtemps et je sais qu’à ton retour beaucoup de choses auront changé. Alors je réalise que tu me manques déjà. Ton humour aiguisé, nos rigolades à table. Ta manière de taquiner ta soeur. Ta capacité d’expliquer les maths et la technique de manière accessible pour le lambda. Tes idées farfelues. Ton inventivité photographique. Ton amour pour le bricolage. Et le bordel de ta chambre. Le mot désordre est bien trop faible. Je me demande toujours comment tu retrouves tes choses. Un jour, tu avais huit ans, j’ai jeté tous tes Lego par la fenêtre, tellement j’en avais marre de ne pas pouvoir passer l'aspirateur dans ta chambre. Tu t’en souviens ? Rentré de l’école tu n'a marqué qu’une minute d'hésitation. Je pensais que tu prenais ton seau pour ramasser les pièces une à une dans la pelouse. Non, tu les as simplement rejetées par la fenêtre dans ta chambre. Déjà à l’époque tu ne manquais pas de suite dans les idées.

Aujourd’hui je regarde ta chambre bien rangée qui ne ressemble plus à la tienne. Serait-ce possible que je regrette de ne plus voir tous les jours ton capharnaüm?

Bien sûr tu vas revenir mais les choses ne seront plus les mêmes. Tu auras mûri, fini la jeunesse, tu seras adulte. Tu l’es déjà mais tu comprends ce que je veux dire. Tu ne voudras plus habiter chez tes parents mais louer un appartement. Et c’est très bien ainsi. J’ai fait la même chose à ton âge. That’s life.

Alors c’est le moment de dire adieu à mon garçon, avec un oeil qui rit et l’autre qui pleure. Saches que je t’aime, que je t’aimerai toujours quoi qu’il arrive. La distance et les années n’y changeront rien. Saches que je suis toujours là pour toi. Maintenant profite de cette année hors du temps. Qu'elle soit fabuleuse et riche. Fais le plein de toutes les belles choses que tu rencontres sur ton chemin mais ne détourne pas non plus la tête en présence de la misère. Apprends à reconnaître et à apprécier les différences sans jamais juger.

Bon voyage. Je t’aime très fort    -   Ta maman

L’année a passé, d’autres ont suivi et mon fils vit depuis vingt-deux ans en Californie. Il aime ce pays. La distance n’a rien changé à notre proximité. Quand on se retrouve, c’est comme si l’on s’était vus il y a une semaine.

- Salut Eric, tiens tu as fait couper tes cheveux.

- Salut maman et toi tu n’es même pas encore coiffée.

- Pas étonnant, je viens de me réveiller, je suis même encore en chemise de nuit.

- Ben oui, et moi je vais bientôt me coucher.

(Il est huit heures du matin chez moi et onze heures du soir à San Francisco)

C’est dans ce genre que commencent souvent nos rencontres sur Skype.

Quand Eric a fait son année de voyage vers la fin du siècle dernier, chaque lettre, chaque carte postale était un événement. Selon les possibilités et pour des cas urgents il y avait aussi le téléfax.

Aujourd’hui, les moyens techniques de communication sont multiples et font fondre la distance comme la glace au soleil. Ils nous rapprochent comme on veut et quand on veut.  Evidemment que la Californie est loin, un océan et tout le continent américain nous séparent. Treize heures de vol, si tout va bien. Cela peut presque doubler s'il y a un bug. Mais je me suis déjà posé la question, si mon fils habitait le sud de la France, la Belgique ou l'Angleterre, se verrait-on forcément plus souvent ?

La distance est un concept variable, la proximité est une histoire de cœur.

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